Quand il s'agit de parler d'un jeu, le commun des mortels aime bien le ranger dans une catégorie, lui attribuer une étiquette pour déterminer son genre. Simulation, action, aventure, sport, course (qui est aussi du sport automobile), FPS, TPS, Metroidvania, plateforme, shoot them up, beat them up, RPG, etc., il y a bon nombre d'étiquettes disponibles et certaines expériences en mêlent plusieurs. S'il paraît évident de classer certains jeux, ça peut vite être plus compliqué de se mettre d'accord, surtout quand on s'attaque aux sous-genres. Justement, Jordan Mauger, professeur de philosophie que l'on retrouve dans le podcast Niveau Supérieur, a décidé de parler de J-RPG ou plutôt de ce qui caractérise ce genre pour lequel il voue un amour incommensurable depuis qu'il a terminé Grandia enfant. Le J-RPG n'est-il que la représentation des jeux de rôle japonais ? Pas forcément...
Sans détour, dès l'introduction, l'auteur pose la question de but en blanc : « Qu'est-ce qu'un J-RPG ? ». En effet, si on prend littéralement la signification de cette abréviation, cela signifie jeu de rôle japonais. Pourtant, comme il l'indique, le terme est arrivé tardivement, au début des années 2000 et il a finalement eu plusieurs significations. Après tout, tous les jeux de rôle produits au Japon ne sont pas des J-RPG, on a également des T-RPG (pour tactique) ou des A-RPG (pour action). Il s'est donc intéressé à ce qui détermine réellement la présence du J et non d'une autre lettre, comme un W pour Western par exemple pour opposer les RPG de l'occident à ceux du Japon. Nous n'allons pas revenir sur tout ce qui est dit, ça ne serait que paraphraser les dires de Jordan Mauger mais il est bon de noter qu'il y avait en premier lieu la volonté de partager les C-RPG, les jeux de rôle pour PC (le C de Computer) des jeux de rôle pour consoles qui étaient réalisés au Japon. Ainsi, pour voir ce qui fait d'un jeu de rôle un J-RPG et pas autre chose, il va explorer plusieurs pistes réparties entre trois chapitres.
Dans un premier temps, il va s'intéresser à l'enrobage, ce que l'on entend, ce que l'on voit, en bref les premiers contacts que nous avons avec les jeux. Les musiques emblématiques des thèmes de combat que l'on reconnaît entre mille par exemple, les designs caricaturaux qui allaient à l'essentiel, surtout à l'époque des limites technologiques, ou encore les différentes représentations des personnages, selon qu'ils apparaissent dans une boîte de dialogue, dans une cinématique, lors des combats, sur la carte au niveau de l'exploration d'une ville ou celle du monde avec une échelle différente, etc. Il revient également sur les mondes fermés à explorer, ces univers qui peuvent être riches mais qui limitent le joueur dans ses possibilités, sur les mini-jeux qui offrent des moments à part ou encore tous ces moments dignes de l'univers du théâtre. Il donne également ses pensées par rapport au fait de ne pas avoir réellement son destin en main, la manière dont l'aventure prend de l'ampleur au fil des dialogues et cinématiques, jusqu'à offrir une réelle épopée, ou encore sur les références qui s'insèrent dans les univers. Concrètement, cette première partie est assez riche et permet de mieux comprendre cet ensemble d'éléments qui créent une expérience que l'on associe à un jeu de rôle japonais.
Mais un jeu de rôle, ce n'est pas qu'un enrobage, c'est aussi un ensemble de statistiques, de caractéristiques, de règles à apprendre et à maîtriser au fil de la progression. Ce sont également des donjons, plus accessibles que ceux d'un dungeon-RPG, qui poussent à l'exploration, à la réflexion ou encore à se confronter à quelques pièges qui demandent un peu de stratégie. Bien entendu, il ne peut pas passer à côté du système de combat, ce système si spécifique qui va déterminer pour beaucoup si on a plutôt affaire à un jeu A-RPG, un T-RPG ou un J-RPG. Avec des systèmes plus ou moins proches du tour par tour, avec des niveaux de vérification qui permettent de s'assurer de certains acquis, le système de combat offre une sorte de théâtre de poche dans lequel on accepte certains postulats, comme le fait par exemple de devoir attendre avant d'appuyer sur un bouton « attaquer » plutôt que d'attaquer directement comme on peut le faire dans un FFVII Remake ou un FFV. Au-delà de tous ces éléments analysés les uns après les autres, il termine l'ouvrage avec un troisième chapitre qui revient sur l'ensemble de l'expérience. Il va même par présenter une notion issue d'un néologisme, la contemplaction. Cela permet par exemple de penser que si un jeu offre cet état, même s'il n'est pas réalisé au Japon, alors il pourrait être considéré comme un J-RPG.
Tout cela, ce n'est qu'un très rapide résumé de l'essai de l'auteur pour vous faire toucher du doigt toute la complexité de la détermination de l'étiquette. Bien entendu, nous ne pouvons que vous recommander de vous plonger dans son livre puisque, outre des jeux de mots et des titres pour lesquels il faut parfois avoir les références, nous avons surtout le droit à tout un cheminement de réflexion lié à des retours d'expériences propres à l'auteur. Ce qui est agréable, c'est justement tout cet aspect humain qui renvoie parfois à ses propres expériences et qui permet soi-même de réfléchir aux concepts qui peuvent entourer la notion de J-RPG. Après tout, et l'auteur a l'honnêteté intellectuelle de le reconnaître, son essai n'est pas là pour apporter une réponse universelle mais bien pour servir un socle de réflexion qui permet à tout un chacun de se poser les questions et de déterminer s'il partage ou non les notions avancées. Même si parfois cela peut paraître un peu indigeste, quelques passages faisant notamment référence à des réflexions de philosophes, il faut bien avouer que c'est intéressant. Cela met en perspective les notions ancrées depuis des années. Sans tout remettre en cause, ça offre une réflexion intelligente qui permet finalement de déterminer qu'un J-RPG est plutôt un jeu qui se présente avec les codes et les expériences que nous avons plutôt qu'à un jeu qui provient uniquement du Japon.
Certains auteurs qui écrivent pour Third Editions, notamment sur les livres dédiés à la licence Final Fantasy, ont déjà apporté quelques réflexions sur les éléments qui caractérisent les jeux (comme la sortie de la période d'innocence au début de l'aventure) et, par extension les J-RPG. Avec En quête de J-RPG – L'aventure d'un genre, Jordan Mauger va plus loin en réalisant un essai complet dans lequel il mêle expérience personnelle et analyses. Il ne cherche pas à nous imposer une définition du genre mais bien à nous donner les clés des éléments qui composent le genre et qui permettent de classer un jeu dedans, même s'il n'est pas réalisé au Japon. Avec un certain humour, notamment dans les titres, et tout l'aspect personnel qui humanise l'ouvrage, cela permet de mieux digérer quelques passages un peu moins digestes. Toujours est-il que la plume est agréable, que l'ouvrage est suffisamment aéré et bien découpé pour que la lecture reste un plaisir d'un bout à l'autre. C'est également l'occasion de s'approprier un néologisme qui semble seoir au J-RPG. Mais pour le comprendre, il faut déjà passer par les étapes d'analyse des divers éléments, de la musique aux caractéristiques, en passant par les représentations des personnages, par l'épopée, par les combats, etc. Ce qui est agréable, c'est qu'il décortique le gameplay en revenant bien entendu sur ce qui fait le game, l'ensemble des règles qui régissent les J-RPG, et le play, le ressenti que ça nous procure quand on joue. Car oui, tout cela est lié et l'expérience du joueur s'acquiert au fil de l'expérience de notre ou nos personnages. |
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